La semaine dernière, j’eus une discussion avec une amie d’enfance. Celle-ci m’a beaucoup touché et c’est après quelques jours de réflexion que j’ai enfin réuni les mots justes pour lui répondre.
Étant donné que les sujets principaux de cette discussion furent l’ambition, la réussite socio-professionnelle et la capacité d’adaptation à un groupe, il me tient à coeur de vous exprimer, à vous également, cher-es adeptes, mon point de vue.
En effet, c’est grâce à ma situation socio-professionnelle d’éleveur, de paysan, que je souhaite ouvrir les esprits car pour beaucoup, nous, agriculteurs, sommes “en bas de l’échelle”.
Si cette dernière phrase ne vous convient guère ou que vous la trouvez inappropriée, je vous prierais dans ce cas de bien vous rappeler que, selon la MSA, 50 % des éleveurs gagnent moins de 370 € par mois, que nous sommes les plus concernés par les burn-outs, qu’un agriculteur français se suicide tous les deux jours, et que cela n’a l’air de choquer personne, exceptée la Confédération Paysanne. Ainsi, si à part ce syndicat, aucune action n’est engagée dans le bon sens qui est la véritable reconnaissance de la détresse de la majorité des agriculteurs, et bien dans ce cas oui, il va de soi que l’on peut affirmer que nous, les agriculteurs, somme bien en bas de l’échelle.
Mon amie, qui a grandi dans un quartier similaire au mien, semble y avoir eu de mauvais souvenirs. Car il s’agit d’un quartier HLM et que pour tenir ses propos, elle voudrait devenir “milliardaire et élite de cette société”.
Cependant, mademoiselle est actuellement SMICarde mais vient de réaliser son plus grand rêve ; rejoindre une organisation dite “philosophique” très célèbre puisque celle-ci regroupe les “puissants” de ce monde. Ainsi, bien plus qu’une aubaine, elle voit cette intégration comme la porte d’entrée vers un monde qui serait “élitiste” et idyllique…
Et qu’ainsi, d’un autre côté, pour ne pas dire à son opposé, voici maintenant plus de 30 ans que j’ai fait voeux de devenir paysan, profession que j’exerce dans une sincère réalisation de ma personne depuis maintenant 5 ans.
Et dans le même contexte, je pense avoir une certaine idée sur l’art de philosopher, de ses définitions, de ses objectifs et de sa méthodologie.
Ainsi, elle m’explique : “Il nous est demandé de ne pas avoir de ressenti et toujours de respecter une certaine façon de parler”.
Si le mot “élitiste” m’a profondément choqué car il suppose que certains Hommes seraient meilleurs que d’autres, c’est dans un bien premier plan que “ne pas avoir de ressenti” m’a, lui, bouleversé.
Car il me semble que le ressenti est la première expression de chaque être, qu’il est le pilier central même des émotions et qu’il s’apparente même à, ce que les dits sages appellent, l’âme. Et que par voie de fait, vouloir inhiber voire supprimer entièrement ses propres ressentis n’aboutit qu’à une voie ; celle de la démesure et de l’égarement. Car si le ressenti permet justement de jauger et de juger, il est le siège même de toutes nos valeurs, morales notamment, qui nous informent donc de ce qui est bien ou mal.
Et qu’ayant dans mon curriculum vitae, une expérience de commercial de trois semaines, je vous avoue qu’à moi aussi, on m’avait demandé, à cette époque, de ne pas avoir de ressenti… Cela semble être ainsi très fréquent dans le milieu des affaires de demander une telle promesse.
Sans aboutir à une synthèse qui ferait de certains des héros et d’autres des personnes malsaines, je mentionnerais juste le fait que d’une, le monde actuel connait une grande agonie, et que de deux, l’état catastrophique de celui-ci est le fruit des agissements de plusieurs.
Et qu’ainsi, s’il est clair que toute personne est bien dotée de conscience, supprimer ses ressentis est une véritable porte ouverte à des agissements graves voire immoraux car aveuglés. Et de la même manière, agir de la sorte pour pouvoir accumuler des biens et services peut engendrer une grande confusion entre ce qui est bien ou mal, parce que plus nous agirons immoralement, plus nous penserons être comblés.
Et par conséquent, si telle est la voie pour faire de certains des élitistes et des milliardaires, je soulignerais tout de même que ceux-ci, soit ne sont pas nés en HLM, soit ont eu une idée de génie. Et que l’on se réveille pas un matin en se disant “Tiens, aujourd’hui, je vais avoir une idée de génie.” Celle-ci est plus liée au fruit du hasard telle la pomme qui tombe sur Newton comme l’a si bien illustré Gotlib…
Vous savez, ma volonté incommensurable de devenir éleveur est née de mon attachement à mon ours en peluche, à mon amour pour les animaux, à mon choix de prendre soin de la Terre, à mon sens gastronomique et enfin à la détermination de servir le monde sous une noble cause. Et je peux vous assurer que, même si cela ne fait que cinq ans que nous sommes installés, jamais je n’aurais imaginé avoir un tel succès, fruit de vos dires, de vos commentaires, de votre participation et surtout des étoiles que vous avez dans les yeux à chaque livraison de nos mets.
Et que pour moi, telle est la réussite. Car elle nous montre et nous démontre que ce que nous faisons est juste, qu’elle exprime, au delà de nos attentes, une certaine idée de notre vrai potentiel, et qu’elle répond clairement aux nouvelles attentes du monde qui est de produire des produits de qualité remarquable, de respecter l’Homme, la nature et soi-même.
Et si pour beaucoup l’ultime sacerdoce de tout Homme est de devenir milliardaire, c’est le sourire aux lèvres et en toute sincérité que je refuserais un si grand butin. Car je n’en ai ni l’envie, ni le besoin et que mes valeurs sont toutes autres.
Hier, je marchais parmi notre troupeau reproducteur. Épanoui et ravi d’être là, je pris le cou de mon taureau entre les bras et restais là quelques temps. Oscar ne bougeait plus lui non plus, nous profitions. Son odeur, sa chaleur, le toucher de sa crinière, tout ce ressenti (!) me transportait, me submergeait, comme une vague de bonheur ici, parmi mes Highlands Cattle.
La semaine dernière, j’aidais ma vache préférée, Caileag, surnommée “ma grosse zonzon” à mettre au monde un veau d’une rare beauté. La difficulté de ce vêlage et notre attachement à Caileag nous firent pleurer de joie lorsque l’on se rendit compte que Belun, son veau, était vivant ! Le même jour, je trayais Morag pour donner à boire à son petit. Pouvez vous ne serait ce qu’imaginer la grâce de goûter le lait encore chaud, trait à la main, et au goût si ample, d’une grande amie qui a partagé tant de moments intimement précieux ?
Et tu me dis qu’il faut bannir ses ressentis contre de l’or ?
Mais ma pauvre amie, que feras tu de cet or ? Que t’apportera t il, lui ? Et qu’apportera t il au monde ? Comme le chante Ridan “Je préfère vivre pauvre avec mon âme que de vivre riche avec la leurs”.
Tu me dis aussi qu’il faut, dans tes groupes dits “philosophiques” toujours utiliser un langage convenable. Quelle est donc, encore une fois, cette usurpation de ce si bel art qui justement apporte, lui aussi, la liberté ?
Moi, je te dis, que lorsque tu te bats jour et nuit, avec moins de douze jours de repos par an, pour que tes Highlands Cattle puissent être les plus heureuses possibles et qu’en changement de champs, elles te suivent sur des kilomètres, et que tu te retrouves devant, leader, avec 30 bovins de 600 kg avec des cornes qui font pâlir le plus grand nombre, ben à part “Whaou”, la petite larme à l’oeil ou prendre une photo fièrement, t’as envie de dire “Mais bordel, mais c’est énorme ! C’est un truc de ouf !!!!”
Je t’aime tu sais, ne confond pas rêves, utopie et folie des grandeurs. Car si pour Hugo, “L’utopie d’aujourd’hui est la réalité de demain”, la folie des grandeurs, elle, te perdra. Et que, trop fière sur ton trône, tu n’auras plus personne pour te tendre la main et te réapprendre à ressentir ces toutes petites choses simples qui composent la vie, dont nous ne soupçonnons que si peu la réelle grandeur.